02/03/2011
3°/ les fresques de San Tumasgiu, suite et fin
3°/San Tumasgiu di Pastureccia, les murs sud et nord.
LE MUR SUD
Le mur sud a reçu un décor de fresques qui s'interrompt brusquement à la porte d'entrée latérale: on a malheureusement sans doute perdu une partie de cet ensemble.
LES SAINTS INTERCESSEURS
Jouxtant saint Michel et son inquiétante pesée des âmes, voici un espace intermédaire qui nous indique la voie à suivre et nous place sous la protection de ces saints, trois femmes et trois hommes, campés bien droits dans leurs niches encadrées de piliers. Intercession salutaire de ces saints et message d'espoir ...
Les trois saintes occupent la partie inférieure de cet ensemble et, malgré la dégradation nous pouvons reconnaître de gauche à droite:
... tout d'abord sainte Catherine d'Alexandrie, princesse martyre reconnaissable au baton de son supplice: nous avons perdu la roue dentée sur laquelle elle fut rouée de coups et déchiquetée. Cette sainte légendaire subit le martyre pour avoir tenu tête aux philosophes et orateurs convoqués en vain pour l'éloigner de sa foi chrétienne ... L'exemple de la rigueur d'une grande intellectuelle donc, dotée d'un courage bien agaçant pour cet empereur Maxence qui voulait la détourner de ses voeux au Christ et l'épouser...
Puis vient Sainte Lucie au beau visage mélancolique: elle tient d'une main une coupe contenant ses yeux arrachés, et de l'autre le couteau de son supplice. C'était à Syracuse sous Dioclétien en 304. Son nom, qui indique la lumière (lux), fait d'elle une sainte bien précieuse pour guérir tous les maux qui menacent de cécité les pauvres gens ... Une sainte omni-présente dans nos églises de Corse.
Enfin, notre chère Marie-Madeleine tenant sous le bras le vase contenant l'onguent précieux dont elle parfuma les pieds du Christ - au grand scandale des apôtres qui ne comprennent pas un tel gaspillage - pieds aimés qu'elle essuya de sa blonde chevelure dénouée ... Cette fois-ci, l'exemple de l'amour fait personne qui obtient par le repentir le pardon de sa vie dissolue: espoir!
A l'étage supérieur trois saints d'importance: à gauche le pauvre saint Jean-Baptiste n'est plus reconnaissable que par son vêtement d'ermite du désert: un manteau en peau de chameau. Son effigie est si altérée que l'on n'aperçoit plus qu'à peine un livre et la croix qui est d'ordinaire l'un de ses attributs . Les deux saints suivants se lisent plus facilement:
Saint Antoine Abbé, l'ermite du désert, appuyé sur son bâton en tau (je ne vois plus la clochette). Il a l'allure vénérable d'un vieillard à la chevelure et la barbe blanches, au front dégarni, au visage recuit dans la solitude du désert, plus de cent ans dit-on (251/356). Un exemple impressionnant de longévité dans la sainteté malgré ces fameuses tentations qui l'assaillirent sans relâche au cours de sa longue vie: une mine d'inspiration pour les peintres!
Sur leur droite, le visage juvénile de saint François, les mains transpercées des stigmates. Sa présence ici nous indique une dévotion bien particulière, véhiculée par les nombreux franciscains établis dès le XIII°s. sur l'île. Les fresques de notre chapelle San Tumasgiu ont-elles été commanditées par les franciscains ? Toujours est-il que toute son iconographie relève de la pastorale diffusée par les franciscains: la rédemption plus forte que la peur ...
Et pourtant!
L'ENFER
Succédant à l'espace des saints intercesseurs, voici la seule scènographie de l'enfer représentée - à notre connaissance - sur les fresques de Corse. Un monde agité et tourmenté qui contraste avec la stabilité digne de nos saints.
On a du reste l'impression que cette représentation s'interrompt brutalement à gauche, peut-être recouverte en partie par celle de nos saints intercesseurs.
La vérité est qu'on ne semble pas s'ennuyer en enfer ...
Une armée d'affreux démons s'affairent autour des damnés, à chacun sa spécialité. Ici, l'on traite la goinfrerie: voilà où conduit trop de gourmandise. L'enfer, c'est la satiété, qu'on se le dise! Notre société gavée ferait bien d'y réfléchir.
La luxure: "que reste-t-il, de nos amours ?" hélas! bonnes gens, prenez garde, les "feux de l'amour" se sont transformés en supplice ardent ... la bestialité jusqu'à en perdre la conquête de la verticalité humaine .
Dans la fournaise de ce monde suractif, plus de méditation possible, ce n'est plus le moment. C'est le passage à l'acte répétitif, sans imagination, sans délectation, sans repos, sans espoir ...
Et pourtant ...
Dans ces chaudrons sur le registre inférieur de l'Enfer, qui portent les noms des péchés capitaux: avaritia, lusuria, ira ..., surveillés et touillés par les démons, je trouve bien paisibles ces visages presque souriants: ne serait-ce pas une version infernalisée du Purgatoire, et nos âmes mises à la casserolle n'attendent-elles pas la fin de leur purgation, grâce à l'entremise des bons saints protecteurs ?
Peut-être prennent-elles patience et espèrent-elles leur salut malgré leur souffrance en contemplant la Passion de leur Sauveur, sur le mur d'en face ?
***
LE MUR NORD:
SCENES DE LA PASSION
Cette paroi Nord a terriblement souffert, mais ce peu qui nous reste témoigne de la grande intériorité de cet artiste inspiré .
En haut à droite, la Cène. Le fresquiste choisit de raconter l'instant où Jésus annonce que l'un de ses disciples va le trahir ce soir même: sur la table, le pain et un flacon de vin. Jean se penche vers Jésus - effacé en partie -
De l'autre côté de la table, les apôtres, saisis de profil , la main sur la poitrine s'interrogent dans une grande agitation.
Suit la scène du Jardin des Oliviers:
Dans l'angoisse de ce qu'il devoir advenir, Jésus veille seul, entouré de ses disciples endormis.
Suit l'arrestation puis la comparution devant Pilate.
La flagellation ...
... et enfin cette bouleversante crucifixion. Derrière la croix, les murailles de Jérusalem. Au pied de son fils à l'agonie, la Mère , mains serrées sur un geste d'affliction:
"Stabat Mater Dolorosa
Juxta Crucem lacrymosa
Dum pendebat Filius"
les yeux ouverts sur l'abîme intérieur, muette dans sa douleur:
"Vidit suum dulcem Natum
Moriendo desolatum
Dum emisit spiritum"
et le regard du Fils, jusqu'au bout, dans un beau visage marqué par la souffrance et la compassion.
Lui fait pendant, non loin de là, sur le pied droit à gauche de l'arc, sous l'archange Gabriel, ce visage épuisé du Christ aux yeux clos, ce qui nous reste d'une scène ultime: Ecce Homo? Mise au tombeau ?
***
Enfin signalons, dans l'abside, quelques visages surgis d'on ne sait où:
... qui appartiennent à une fresque antérieure ...
Voilà ce qu'il falloir bientôt restaurer, sans rien ajouter. Les artistes qui auront la charge de cette restauration vont vivre de longs moments dans l'intimité de cette chapelle ... Je leur (nous) souhaite toute la sérénité nécessaire pour renouer le dialogue avec le maître fresquiste de cette fin du XV°s. et apprivoiser l'absence de toutes ces figures définitivement détruites qui nous manquent aujourd'hui.
22:40 Publié dans chapelle San Tumasgiu di Pastureccia, corse, fresques de corse, patrimoine des chapelles à fresques en Corse, restauration du patrimoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : castellu di rustinu, san tumasgiu di pastureccia, fresques de corse, représentation de l'enfer, purgatoire, représentation de la passion du christ | Facebook |
27/02/2011
1°/San Tumasgiu di Pastureccia -Castellu di Rustinu
En attendant la restauration prochaine de
1°/ la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia,
à Castellu di Rustinu.
Pieve di Rustinu.
La chapelle est située dans un site admirable au-dessus de la vallée du Golu, que domine sur son éperon vertigineux le Pinzu di Castellu di Rustinu, fief au XI° siècle des Marquis de Massa de Corse ... Au fond de ce vaste paysage, la pieve de Caccia. Nos belliqueux marquis pouvaient surveiller les moindres mouvements de passage entre la côte orientale et la côte occidentale ...
... du haut de leurs donjons. Ce site fait l'objet depuis des années de fouilles sous la conduite de l'archéologue Daniel Istria.
(merci aux amis pour leurs photos, ce jour-là)
Avec lui, notre ami Toussaint Quilici travaille depuis des décennies sur sa pieve du Rustinu et l'on attend avec impatience la publication de ses travaux. En attendant il partage volontiers sa passion pour notre plus grand plaisir!
La chapelle construite en contre-bas de ce site stratégique -sans aucun doute utilisé dès la préhitoire ( j'y ai ramassé une pointe de flèche) - est beaucoup plus ancienne que le Castellu. Geneviève Moracchini-Mazel propose une datation entre le VII° et le IX° s., l'appareil des murs étant plutôt composé de pierres éclatées dans son ensemble (cf. "Les églises romanes de Corse, p.296, G. Moracchini-Mazel, publié avec le concours du CNRS en 1967 ).
Le cimetière qui l'enserre est, comme tous les cimetières de Corse, de création récente (décrets de Napoléon). A l'origine l'on enterrait les morts de cette région dans l'arca : cette crypte creusée sous le sol de la chapelle accueillait les défunts pour un repos éternel sanctifié par le lieu. Le caractère sacré de cet antique usage a certainement contribué à la survie de la chapelle ... encore que ... dans les années 1930, la chapelle fut la victime d'une étrange intervention des Monuments Historiques de l'époque qui aboutit à la mutilation d'un tiers de notre chapelle:
Plan de de la chapelle San Tumasgiu avant sa démolition, publié par G.Moracchini Mazel dans l'ouvrage cité ci-dessus, et conservé aux archives des Monuments Historiques.
A l'origine la nef unique de cette chapelle mesurait 14,30m et la porte occidentale devait être de belles proportions, si l'on en juge par les éléments de l'archivolte qui nous restent. En 1925, la charpente s'écroule et l'on appelle les Monuments Historiques au chevet de ce monument remarquable. L'architecte de l'administration des MH décide, cela parait incroyable! non pas de reconstruire la charpente à l'identique, mais de ne préserver que la partie de la chapelle comportant un décor... Il détruit donc allègrement un tiers de l'édifice - parait-il qu'il aurait même utilisé les explosifs pour aller plus vite (mémoire orale des anciens du village), les murs se révélant trop solides pour la barre à mine! Quoi qu'il en soit, à mon avis le cher homme doit être entrain de mijoter pour quelque temps encore dans ces terribles flammes du Purgatoire dont on dit qu'elles "purgent" toutes les imperfections: il y sera, je n'en doute guère, en bonne et nombreuse compagnie, à commencer par celle de nos chers hommes de pouvoir.
Bref il reconstruit avec les pierres récupérées un mur occidental aveugle. Les fresques, si explosifs il eut, durent passablement souffrir de l'opération.
La porte latérale du mur Sud (à gauche de laquelle l'on aperçoit les deux éléments de l'archivolte de la porte occidentale) nous intrigue par l'inscription de son tympan:
qui donne une date tardive: 1470, date que l'on va retrouver inscrite au fond d'une niche aménagée à l'intérieur du mur Nord/Est et à l'extérieur de la fenêtre meurtière de l'abside. Une date qui semble évoquer un évènement ou des remaniements importants.
Une découverte récente (2002) éclaire peut-être cette époque:
Lors des importants travaux engagés sur cette chapelle pour la mettre hors d'eau, l'on a entrepris de refaire le sol, qui jusque là était quelque peu périlleux et défoncé (l'ossuaire de l'arca étant dessous). Dans la foulée l'équipe a voulu rénover également l'autel et remplacer le ciment par la chaux. Cette opération, où du reste l'autel initial a été rabaissé, a permis une divine découverte, celle de ce reliquaire du XV°s. caché dans une niche formée de trois pierres plates à l'intérieur de l'autel. : "Il s'agit d'une pièce de bois (de la taille de la paume d'une main) sculptée sur ses bords du sceau de l'évêque d'Accia, Antonius Bonumbra, et d'une empreinte centrale richement décorée d'un dais gothique, précise Richard Girolami. L'ensemble est recouvert de cire d'abeille, dans laquelle l'artisan a d'ailleurs laissé quelques empreintes digitales" .
Radiographié, le reliquaire a révélé son précieux contenu: quatre dents dont deux calcifiées ...
Cet évêque Antonius Bonumbra semble avoir été un proche du franciscain Francesco della Rovere, devenu le redoutable pape Sixte IV: tous deux étaient originaires de Savone. Son petit diocèse d'Accia, comportant les deux pieve du Rustinu et de l'Ampugnani, reconstitué au XII°s. pour faire la parité des six diocèses de l'époque entre Pisans et Génois (Accia durera jusqu'au XVI°s. date où il sera absorbé par le diocèse de Mariana), avait sa cathédrale minuscule au sommet (1700 m) du San Pedrone, la montagne tutélaire de cette région. Antonius Bonumbra exerça sa charge épiscopale à l'évêché Accia entre 1466/67 et 1480.
Est-ce à cette occasion que l'évêque A. Bonumbra entreprit des travaux dans la chapelle, dont la date apparaitrait sur le tympan: " le 22 juin 1470 3 ... suivie du nom, semble-t-il "anton bonom...": en tous cas il place le reliquaire dans l'autel, évènement d'une grande importance symbolique qui renforce la sainteté du lieu ...
Entrons enfin
et découvrons et redécouvrons ... dans la pénombre de San Tumasgiu , au pied de l'abside en cul de four, l'autel (aujourd'hui rabaissé) qui abritait le reliquaire dans le secret de sa maçonnerie.
( ce jour là quelques gouttes de pluie tachent l'objectif)
(à suivre pour la visite des fresques! )
12:21 Publié dans chapelle San Tumasgiu di Pastureccia, corse, décors monumentaux en Corse, fresques de corse, patrimoine des chapelles à fresques en Corse, restauration du patrimoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : castellu di rustinu, san tumasgiu di pastureccia, chapelle à fresques, geneviève moracchini mazel, reliquaire de san tumasgiu, daniel istria | Facebook |
24/02/2011
la deuxième tranche de restauration des chapelles à fresques de Corse (suite)
Cette deuxième tranche de restauration concerne six chapelles à fresques :
1°/ San Pantaleu di Gavignanu (voir la note du 12/10/2010)
(le San Bartolomeu à Gavignano)
(San Michele à la Trinità d' Aregno)
3°/ San Tumasgiu di Pastureccia (Castellu di Rustinu)
(l'abside avec le Christ Pantocrator de San Tumasgiu di Pastureccia)
4°/ San Michele di Castirla (voir la note du 15/10/2008)
(le Christ Pantocrator de Castirla)
5°/San Michele di Muratu (voir la note du 27/06/2009)
(L'Annonciation à San Michele de Murato)
6°/ Santa Maria di Conovaria di Prunu
(Sant Antonio di Padova à Santa Maria di Prunu)
Deux nouveaux appels d'offres pour la restauration générale de deux chapelles viennent d'être mis en ligne (à nouveau, les appels d'offre lancés l'an dernier pour ces mêmes chapelles n'ayant pas été suivis d'effet dans le délai réglementaire - pour des raisons qui nous échappent) :
- San Tumasgiu di Pastureccia, le 20/02/2011
- San Pantaleu di Gavignanu, le 23/ 02/ 2011
Appels d'offres prenant fin le 23/03/2011.
Ces deux chapelles sont parmi les plus importantes de Corse, tant par la qualité de leurs décors peints que par leur richesse iconographique .
Espérons que les choses suivront cette fois-ci leur cours jusqu'au bout : ce patrimoine mérite largement l'engagement de la Collectivité Territoriale de Corse . (voir la note précédente)
(Saint Jean Evangéliste à San Tumasgiu di Pastureccia)
(à suivre ...)
23:17 Publié dans corse, patrimoine des chapelles à fresques en Corse, restauration du patrimoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : restauration des fresques de corse, ctc, gaviganu, aregnu, castellu di rustinu, prunu, castirla | Facebook |
12/04/2010
sepolcri du diocèse d'Accia, suite
Domenico BAINI , dit aussi Domenico BAINO s'est illustré en Corse entre 1695 et 1732 dans une large palette de ses talents : architecte (il est l'auteur, entre autres, du célèbre campanile et de la façade de l'église saint Jean Baptiste de La Porta) , ingénieur, stucateur et peintre décorateur originaire de Côme, dans l'état de Milan. (merci, Michel Edouard Nigaglioni)
La surprise, lorsque que je suis rentrée dans cette église il y a une bonne quinzaine d'années, grâce à l'extrême gentillesse de Laurence M., une dame âgée du village et servante dévouée de son église, fut de rencontrer, entreposées derrière ce maître-autel , d'immenses toiles d'une facture populaire et dont j'ignorais totalement la fonction: ce fut la première fois que je voyais un décor de sepolcru et Laurence évoqua alors pour moi cette dévotion si particulière que depuis, j'ai appris à reconnaître ...